Cronos: The New Dawn est un jeu vidéo de type survival horror développé et édité par Bloober Team (à qui l’on doit le remake de Silent Hill 2), studio polonais connu pour ses productions atmosphériques comme Layers of Fear ou The Medium. Sorti le 5 septembre 2025 sur PlayStation 5, Xbox Series, PC, macOS, Linux et Switch 2, le titre s’inscrit dans une tradition de jeux d’horreur exigeants où la gestion des ressources, l’exploration méthodique et l’oppression sensorielle sont au cœur de l’expérience. Le jeu puise sans vergogne dans les classiques du genre comme Dead Space, Resident Evil ou Silent Hill, mais y appose aussi des idées propres : voyage temporel, mutations grotesques et narration fragmentée. Il en résulte une œuvre dense, imparfaite, mais sincère, qui marque un tournant dans la trajectoire créative de Bloober Team.

ND-3576 contre les Orphelins
Cronos: The New Dawn met le joueur dans la peau de ND-3576, surnommée la Voyageuse, une silhouette encastrée dans une armure imposante, mandatée par une organisation énigmatique appelée le Collectif. Sa mission : franchir les failles temporelles d’un monde post-apocalyptique pour extraire les essences d’individus morts dans les années 1980, juste avant qu’un événement nommé le « Changement » ne transforme les humains en créatures difformes appelées Orphelins. Le scénario s’épanouit dans une Pologne rétrofuturiste ravagée, où le brutaliste côtoie le surréalisme, où les failles du temps se matérialisent dans l’environnement et où chaque déplacement semble guidé par une forme de destin mécanique. L’histoire, volontairement nébuleuse, se dévoile lentement au travers de dialogues internes, d’enregistrements audios et d’un très grand nombre de notes manuscrites disséminées dans les décors, qui forment ensemble un puzzle narratif à recomposer.
Le gameplay repose sur une boucle exigeante et méthodique. Chaque avancée implique une fouille minutieuse des lieux, une gestion pointilleuse de l’inventaire et une évaluation constante des dangers. Le système de combat est lent et lourd : pas d’esquive dynamique ici, mais des tirs économisés, des coups de crosse inefficaces et une mobilité réduite qui renforcent la vulnérabilité. L’originalité du système repose sur deux éléments majeurs. D’abord, les ennemis peuvent fusionner avec les cadavres au sol, devenant ainsi plus puissants et imprévisibles. Il faut donc brûler les corps, ce qui requiert des munitions incendiaires rares et encombrantes. Ensuite, la gestion du temps et des paradoxes temporels offre des mécaniques de reconstruction environnementale et d’extraction d’essences, qui ajoutent une dimension stratégique bienvenue. Chaque essence récoltée octroie des bonus uniques, transformant les choix du joueur en configurations personnalisées.
Des problèmes techniques et trop cryptique
Malgré ses ambitions, Cronos: The New Dawn trébuche parfois sur son propre système. L’un des reproches majeurs que l’on peut lui faire concerne sa technique, en particulier sur PC : crashes fréquents, problèmes d’affichage des menus, mauvaise prise en charge des manettes, ou encore cinématiques non lisibles empêchant la progression. Des correctifs ont été promis, mais l’expérience initiale reste entachée pour beaucoup. De plus, les checkpoints sont souvent mal placés, incitant à revenir manuellement à une « safe room » pour sauvegarder, ce qui, au-delà du stress calculé, finit par peser. On notera aussi une redondance dans la mécanique d’incinération des corps, qui oblige à de nombreux allers-retours à cause du faible espace disponible pour transporter les munitions spéciales. Cette contrainte, si elle participe à l’ambiance pesante, en vient parfois à casser le rythme de l’exploration.
L’autre grande faiblesse de Cronos réside dans sa narration. Si l’approche fragmentaire peut séduire les amateurs de mystères cryptiques, elle pourra en rebuter d’autres. Le récit s’appuie trop lourdement sur des documents à lire qui, s’ils offrent des éclairages intéressants sur le monde, manquent souvent de concision et peinent à maintenir l’intérêt. On aurait aimé un meilleur équilibre entre narration environnementale et cinématiques interactives, d’autant plus que les dialogues doublés (en anglais uniquement) ne rendent pas justice à l’ancrage culturel polonais très fort du jeu. Le tout devient d’autant plus frustrant que l’histoire, bien que dense, s’avère au fond assez prévisible, malgré une structure de type boucle temporelle intrigante et plusieurs fins possibles, dont une réservée au New Game+.
Une Europe de l’Est réussie
Mais à côté de ces aspérités, Cronos: The New Dawn révèle une somme de qualités indéniables. À commencer par son atmosphère visuelle et sonore. La direction artistique, inspirée du brutalisme d’Europe de l’Est et de la SF rétro, dépeint un monde à la fois familier et altéré, où la ruine industrielle flirte avec l’onirisme dérangeant. Les environnements sont riches en détails, les effets de brouillard, de lumière et de particules contribuent à une immersion constante. Le sound design, quant à lui, est une leçon de subtilité : nappes synthétiques, respirations métalliques, craquements d’infrastructure, tous les éléments renforcent la sensation d’étouffement. Même le silence y devient un outil de terreur.
Le gameplay, bien qu’exigeant, sait récompenser les joueurs attentifs. Les améliorations d’armes, la spécialisation de l’équipement, la combinaison des essences et les variations de l’environnement liées au temps confèrent une profondeur bienvenue. Le jeu propose également des phases de plateforme et de puzzle légères, mais bien intégrées, et la progression dans les zones semi-ouvertes (interconnectées à la manière d’un Dark Souls) donne un sentiment gratifiant de maîtrise. Le fait de devoir choisir quels objets transporter dans un inventaire limité pousse à des décisions lourdes de conséquences, renforçant le sentiment d’engagement du joueur. Et si les combats ne brillent pas par leur dynamisme, leur poids, leur rythme lent et les mécaniques de fusion offrent une tension permanente qui sied parfaitement au genre.
Bloober Team aux commandes
Fondé en 2008 à Cracovie par Piotr Babieno et Piotr Bielatowicz, Bloober Team s’est d’abord fait connaître avec des titres expérimentaux avant de se spécialiser dans l’horreur psychologique. Après des débuts en demi-teinte avec des jeux comme Basement Crawl ou Music Master: Chopin, le studio s’impose avec Layers of Fear en 2016, puis Observer en 2017. Leur approche axée sur l’ambiance et la suggestion narrative plutôt que sur l’action pure leur vaut une reconnaissance critique, malgré des lacunes récurrentes sur le plan technique. Le partenariat avec Konami pour le remake de Silent Hill 2 en 2024 marque un tournant, offrant à Bloober les moyens d’ambitions plus grandes.
Cronos: The New Dawn s’inscrit dans cette volonté de renouvellement. Annoncé comme une œuvre originale post-remake, le jeu représente un changement de cap : Bloober ne veut plus simplement faire peur, mais raconter des histoires humaines, tissées dans des mécaniques complexes. Le développement du jeu, amorcé dès 2021, mobilise une grande partie des équipes du studio, qui fait appel à l’Unreal Engine 5 pour donner vie à sa vision. Le résultat, bien que marqué par les stigmates d’un studio en transition, témoigne d’une volonté claire : celle de passer d’un artisan de niche à un acteur majeur du survival horror contemporain. Et même si tout n’est pas parfaitement huilé, on sent chez Bloober une sincérité créative et un désir d’émancipation palpable.
Cronos: The New Dawn n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est une œuvre importante. Dense, parfois aride, souvent frustrante, elle incarne une vision du survival horror à l’ancienne, qui privilégie la lenteur, la méthode et l’angoisse latente à l’adrénaline ou à la surenchère. Le jeu est imparfait, mais toujours cohérent avec son ambition : celle d’explorer les failles du temps, de l’identité et du genre lui-même. Il exige du joueur autant qu’il lui donne, et c’est dans cette relation de tension que se trouve sa véritable réussite. Pour les amateurs de jeux d’horreur méticuleux, atmosphériques et narrativement ambitieux, Cronos s’impose comme une expérience incontournable de 2025.
- Ambiance sonore et visuelle particulièrement réussie, avec une direction artistique marquée par le brutalisme d’Europe de l’Est et une science-fiction rétro immersive
- Sound design subtil et oppressant, renforçant l’angoisse et l’immersion
- Gameplay exigeant et profond qui récompense l’exploration et les choix stratégiques
- Mécaniques originales : gestion du temps, paradoxes temporels, fusion des ennemis avec les cadavres
- Système d’essences permettant de personnaliser les capacités du personnage
- Structure des niveaux semi-ouverte, favorisant la maîtrise progressive du monde
- Riche univers rétrofuturiste avec une narration environnementale détaillée
- Effort sincère de Bloober Team pour s’émanciper artistiquement et évoluer vers des œuvres plus ambitieuses
- Présence de plusieurs fins, dont une exclusive au New Game+
- Nombreux bugs techniques, notamment sur PC (crashes, problèmes de manette, cinématiques illisibles)
- Checkpoints mal placés, obligeant des retours manuels fréquents pour sauvegarder
- Mécanique d’incinération des corps répétitive et frustrante à cause des limites d’inventaire
- Narration trop fragmentaire, dépendante d’un trop grand nombre de textes à lire
- Dialogues uniquement en anglais, en décalage avec l’univers polonais du jeu
- Histoire finalement assez prévisible malgré une structure ambitieuse en boucle temporelle
- Rythme ralenti par des choix de game design pesants
- Pas d’esquive dynamique dans les combats, mobilité très réduite du personnage
Cronos: The New Dawn est un survival horror ambitieux développé par Bloober Team, s’inscrivant dans la lignée de jeux comme Silent Hill ou Dead Space, tout en introduisant des idées originales telles que la manipulation temporelle et les fusions ennemies. Le jeu séduit par son ambiance visuelle et sonore, son univers rétrofuturiste dense et son gameplay exigeant, mais souffre de nombreux bugs techniques, d’une narration trop éclatée et de mécaniques parfois frustrantes. Malgré ses imperfections, le titre marque une étape importante dans l’évolution du studio vers une création plus personnelle et complexe.
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