Durée de vie : les joueurs ne finissent presque jamais les jeux vidéo

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La durée de vie d’un jeu vidéo est souvent perçue comme un gage de qualité. Dans les discussions entre joueurs, sur les jaquettes ou dans les présentations officielles, la promesse d’une aventure de plusieurs dizaines, voire centaines d’heures est régulièrement mise en avant comme une preuve de valeur. Pourtant, cette idée cache une réalité moins flatteuse : la plupart des joueurs ne finissent jamais les jeux qu’ils commencent. Les statistiques, bien qu’intéressantes, importent moins que le constat général. Un titre peut promettre une expérience immense, mais si la majorité des joueurs l’abandonnent avant la fin, à quoi sert vraiment cette promesse ?

Les jeux vidéo sont-ils trop longs ? La durée de vie est-elle réellement un argument ?

L’illusion de la valeur « durée de vie »

Depuis les débuts de l’industrie, la notion de durée de vie est exploitée comme un outil de communication. Les studios et éditeurs insistent sur le nombre d’heures de jeu, parfois jusqu’à l’absurde, comme si le temps investi devait forcément refléter la qualité de l’expérience. Un jeu annoncé comme « long » est censé rassurer l’acheteur : il en aura pour son argent, il sera occupé pendant des semaines. Cet argument, hérité d’une époque où l’on comparait le prix d’une cartouche ou d’un CD à celui d’un film ou d’un livre, reste ancré dans les mentalités. Pourtant, la valeur d’une œuvre ne se résume pas à son volume.

Cette illusion est entretenue par un marketing qui privilégie la quantité sur la qualité. Les éditeurs savent que les joueurs hésitent face à des prix élevés, en particulier sur les productions AAA qui dépassent régulièrement les soixante euros. Insister sur une durée de vie gigantesque est une manière de justifier cet investissement. Mais ce discours oublie une vérité simple : ce qui compte pour le joueur, ce n’est pas la durée affichée, mais la satisfaction ressentie. Une courte aventure, mais intense, peut marquer bien plus qu’un monde ouvert étiré sur des dizaines d’heures. En transformant la durée en argument de vente, l’industrie brouille la perception de ce qui fait réellement la valeur d’un jeu.

Visuel de communication du jeu vidéo Dying Light 2 qui met en avant la durée de vie de 500 heures.
Lors de la sortie du jeu Dying Light 2, le marketing a mis en avant une durée de vie de 500 heures. Ça fait beaucoup là, non ?

Le danger de « qui a la plus grosse ? »

L’ambition démesurée de certains AAA, voire AAAA, ne se traduit pas seulement par des problèmes de rythme ou par une avalanche de quêtes secondaires sans intérêt. Elle a aussi un impact direct sur le prix des jeux. Développer des productions colossales exige des budgets titanesques, mobilisant des centaines, parfois des milliers de personnes pendant plusieurs années. Cette inflation des coûts finit par se répercuter sur le consommateur, qui doit désormais accepter des tarifs dépassant largement les 80 € à la sortie. Le paradoxe est cruel : les joueurs paient plus cher pour des jeux qu’ils ne terminent presque jamais.

Cette logique économique fragilise également l’industrie elle-même. Miser sur des projets aussi massifs, aux ambitions irréalistes, expose les studios à des risques financiers considérables. Un échec critique ou commercial peut mettre en péril l’existence même d’un éditeur, comme l’ont montré plusieurs exemples récents. Pendant ce temps, les joueurs voient les prix grimper sans que la qualité de l’expérience suive forcément cette hausse. L’argument de la « durée de vie » est alors brandi comme justification, mais il ne fait que masquer un modèle qui atteint ses limites, au détriment de ceux qui créent comme de ceux qui jouent.

Le jeu vidéo Grand Theft Auto VI pourrait franchir la barre symbolique des 100 €.
L’explosion des budgets des jeux vidéo entrainent une augmentation du prix des jeux. Certaines rumeurs évoquent, par exemple, un Grand Theft Auto VI vendu à 100 €.

La folie des jeux vidéo AAA

L’industrie AAA illustre parfaitement cette course effrénée à la durée. Les studios visent toujours plus haut, avec des mondes gigantesques, des quêtes innombrables et des scénarios tentaculaires. Cette ambition démesurée a un autre coût : des équipes sous pression, des délais intenables et des burnouts. Les développeurs doivent remplir leurs cartes de contenu, souvent en multipliant les quêtes de remplissage qui n’apportent rien d’autre qu’une impression artificielle de grandeur. Ubisoft est devenu l’exemple caricatural de cette approche, avec ses jeux dans lesquels les objectifs secondaires finissent par noyer l’expérience principale.

Pourtant, cette débauche de contenu ne correspond pas forcément aux attentes des joueurs. Beaucoup n’ont pas le temps ni l’envie de consacrer plusieurs dizaines d’heures à chaque titre. Les jeux services et certains RPG échappent à ce constat, car leur vocation est différente : ils proposent des expériences conçues pour être prolongées indéfiniment, que ce soit par des mises à jour régulières, des événements ou une personnalisation infinie. Mais pour un jeu narratif ou une aventure solo classique, vouloir rivaliser avec ce modèle revient à se tromper de cible. L’industrie se perd dans des ambitions disproportionnées, alors même que ses joueurs aspirent souvent à plus de simplicité et de cohérence.

Assassin's Creed Shadow fait partie de ces jeux vidéo dont la durée vie s'étend de manière artificielle avec des quêtes sans grand intérêt.
Ubisoft est souvent montré du doigts pour ses superproductions dont peu de joueurs en voient le bout. Une expérience souvent entachée par des quêtes peu intéressantes et qui font perdre le fil de l’histoire principale.

La réalité : peu de joueurs terminent leurs jeux

En pratique, rares sont les joueurs qui vont jusqu’au bout de leurs aventures. Même les productions acclamées finissent souvent par être abandonnées en cours de route. La moitié des joueurs, parfois moins, ne franchit pas l’étape finale de l’histoire principale. Plus un jeu est long, plus le risque d’abandon augmente. Les mondes ouverts interminables, remplis d’activités annexes, découragent autant qu’ils impressionnent. Le joueur, séduit au départ par la richesse de l’univers, finit par se lasser et poser la manette avant la conclusion.

La difficulté mal dosée accentue ce phénomène. Un jeu trop dur peut frustrer et donner l’impression d’une barrière insurmontable, tandis qu’un jeu trop facile perd rapidement son attrait. Trouver l’équilibre entre challenge et accessibilité est un exercice délicat, mais essentiel pour maintenir l’engagement du joueur. Beaucoup de studios échouent à calibrer correctement cette expérience, préférant miser sur des mécaniques répétitives ou des pics de difficulté artificiels qui cassent le rythme. L’abandon n’est alors pas un choix conscient, mais une conséquence logique d’un design qui n’a pas su maintenir l’envie jusqu’au bout.

Les exclusivités PlayStation ont souvent un très bon taux de complétion, mais il ne dépasse que très rarement 50 %.
Même un titre populaire tel que Spiderman 2 a des difficultés à engager à peine la moitié des joueurs jusqu’au bout de l’aventure.

Mieux doser la durée de vie

La solution ne réside pas dans la réduction brutale de la durée, mais dans un meilleur dosage. Comprendre les attentes des joueurs, proposer des expériences qui respectent leur temps et éviter les détours superflus devrait être une priorité. Un jeu de trente heures bien construit peut offrir bien plus de satisfaction qu’un autre qui en promet soixante mais s’étire inutilement. L’important est que chaque moment serve l’expérience globale, qu’il apporte un intérêt narratif, mécanique ou émotionnel. L’ennui survient lorsque le contenu se répète sans raison autre que remplir un cahier des charges marketing.

Des exemples récents montrent qu’un tel équilibre est possible. Clair Obscur : Expedition 33, par exemple, nécessite une trentaine d’heures pour être complété. Cette durée permet de développer ses personnages, de déployer son univers et de donner au joueur le sentiment d’avoir vécu une aventure complète, sans pour autant exiger un engagement irréaliste. Ce type de proposition illustre ce que pourrait devenir la norme : des jeux pensés pour être terminés, dont la durée correspond à l’intensité de l’expérience et non à une inflation artificielle de contenu.

Clair Obscur : Expedition 33 est une réussite. La difficulté bien dosée, ainsi qu'une durée de vie réaliste en font un modèle du genre.
Clair Obscur : Expedition 33 propose une durée de vie d’une trentaine d’heures. Un format réaliste qui permet de proposer une aventure solide, sans s’éparpiller.

La durée de vie d’un jeu ne devrait pas être un argument marketing, mais une conséquence naturelle de son design. La réalité montre que la plupart des joueurs ne terminent pas les titres qu’ils commencent, souvent faute de temps ou par lassitude face à un contenu trop abondant. L’industrie gagnerait à mieux calibrer ses ambitions, à privilégier la qualité plutôt que la quantité et à respecter davantage le temps des joueurs. Offrir des expériences mémorables, complètes et finissables est sans doute le meilleur moyen de réconcilier les créateurs et leur public.


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Jiti
Amateur de pop culture et de jeux vidéo, je partage mes passions sur le web. Je produis des contenus sur ce blog, sur YouTube et TikTok. Vétéran de l'Internet, j'ai commencé à bloguer au début des années 2000 et je suis toujours là !