Au début des années 2010, sur les plateformes de création artisanale comme Etsy, on pouvait tomber sur toutes sortes d’objets insolites, mais rien ne préparait vraiment les internautes à croiser le chemin des Fuggler. Derrière ce nom étrange se cachait une créatrice britannique au pseudonyme mystérieux, Mrs McGettrick. Son idée : fabriquer des peluches volontairement disgracieuses, affublées de dents humaines en plastique, souvent récupérées sur des jouets pour enfants. Les visages étaient expressifs, parfois un peu inquiétants, mais toujours avec une touche d’humour grinçant.
Quand l’Internet s’empare des Fuggler
L’univers inventé par Dawn Schiller aka Mrs McGettrick était à la fois simple et décalé. Elle proposait sur sa boutique des peluches cousues à la main, chacune accompagnée d’une description absurde, racontant les soi-disant frasques ou manies du Fuggler en question. Ce ton pince-sans-rire et l’apparence singulière des créations n’ont pas tardé à attirer la curiosité d’une petite communauté en ligne, friande de bizarreries et d’objets de collection hors normes. Petit à petit, les Fuggler sont devenus un phénomène de niche, se partageant surtout par le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux.
Le concept s’est rapidement propagé au-delà du cercle des amateurs d’artisanat. Les photos de ces peluches atypiques, postées sur Reddit ou Instagram, suscitaient souvent la même réaction : de la surprise, un peu de gêne parfois, mais surtout beaucoup de rires. Les internautes s’amusaient des légendes inventées par la créatrice, qui mettait en garde contre le « caractère imprévisible » de ses petits monstres. Les descriptions encourageaient même à les « adopter à ses risques et périls ».
Avec cet humour décapant et leur design à part, les Fuggler se sont forgé une réputation d’objets à la frontière du mignon et du dérangeant. La demande augmentant, Mrs McGettrick a dû faire face à la réalité de la production artisanale : impossible de suivre le rythme sans sacrifier l’aspect unique de chaque pièce. À ce stade, certains collectionneurs commençaient déjà à échanger, acheter ou revendre ces peluches sur différents forums et marchés en ligne, faisant monter la cote de certaines créations plus rares.
Spin Master : de l’artisanat à la grande distribution
En 2018, le destin des Fuggler bascule avec l’arrivée d’un acteur majeur du jouet, la société Spin Master. Attirée par l’originalité du concept et son succès viral, l’entreprise décide de racheter les droits pour produire les Fuggler à plus grande échelle. Pour beaucoup, c’est un pari audacieux : comment faire passer un produit aussi particulier du monde de l’artisanat à celui du jouet grand public ?
Spin Master opte pour une fabrication industrielle, mais s’attache à préserver l’esprit original des peluches. Chaque Fuggler conserve sa dentition particulière, parfois complètement désordonnée, et les expressions restent variées, allant du regard ahuri au sourire tordu. La marque soigne également la présentation, en gardant un ton décalé dans les emballages et les communications, fidèle à l’humour de Mrs McGettrick. Rapidement, les Fuggler envahissent les rayons des magasins spécialisés et des grandes enseignes, touchant un public beaucoup plus large.
Fuggler : la convoitise des collectionneurs
Avec l’essor commercial, une véritable communauté de collectionneurs se structure autour des Fuggler. Les réseaux sociaux deviennent le terrain de jeu favori pour comparer les modèles, échanger sur les trouvailles, ou encore organiser des concours de mise en scène. Certains modèles deviennent particulièrement recherchés, qu’il s’agisse des premières éditions produites par Mrs McGettrick ou de séries limitées proposées par Spin Master.
La marque profite de cet engouement pour multiplier les variantes. On voit apparaître des Fuggler de différentes tailles, aux couleurs inédites, parfois même habillés pour des occasions spéciales. L’aspect un peu absurde de la collection de réunir le plus grand nombre de peluches moches et rigolotes séduit autant les enfants que les adultes amateurs d’objets insolites. Dans certains cas, les Fuggler sont même offerts en cadeau entre amis, en clin d’œil à leur caractère « indomptable ».
Entre culture pop et objet culte
Plus d’une décennie après leur apparition, les Fuggler continuent d’occuper une place à part dans la culture des jouets. Leur succès ne tient pas à une stratégie marketing classique, mais à un mélange d’humour décalé, de design volontairement maladroit, et d’une histoire façonnée par la communauté elle-même. Certains fans gardent précieusement les modèles artisanaux des débuts, tandis que d’autres se lancent dans la chasse aux nouvelles éditions lancées chaque année.
En parallèle, les Fuggler inspirent d’autres créateurs, amateurs ou professionnels, qui proposent leurs propres versions de peluches déjantées. L’esprit original imaginé par Mrs McGettrick perdure, quelque part entre la blague et l’art, dans un coin à part du marché du jouet. Il y a peu de chances que ces petits monstres se fondent dans la masse, mais c’est justement ce qui fait leur force : une singularité revendiquée, portée par ceux qui aiment détourner les codes du « mignon » traditionnel.
Les Fuggler sont devenus bien plus qu’une simple série de peluches étranges. Leur parcours, des débuts artisanaux à la reconnaissance internationale, leur confère aujourd’hui un statut d’objet culte. Ils incarnent l’esprit de ceux qui préfèrent la différence à la conformité et témoignent de la façon dont une idée singulière peut marquer durablement la culture populaire.