Hell is Us est un jeu d’action-aventure à la troisième personne, mêlant exploration, énigmes et combats dans un monde semi-ouvert empreint de violence et de mystère. Développé par le studio québécois Rogue Factor, connu jusqu’alors pour ses travaux sur des adaptations de jeux de plateau, et édité par Nacon, le jeu est disponible depuis le 4 septembre 2025 sur PC, PlayStation 5 et Xbox Series. Conçu avec l’Unreal Engine 5, ce titre revendique une direction artistique forte et une philosophie de gameplay radicale : pas de carte, pas de marqueurs, pas de main tendue. Son originalité réside dans cette promesse d’autonomie laissée au joueur, à rebours des tendances modernes de sur-assistance dans le jeu vidéo.
La guerre civile à Hadéa
L’histoire de Hell is Us prend place dans un pays fictif nommé Hadéa, ravagé par une guerre civile opposant deux factions religieuses : les Sabinistes et les Palomistes. Ce contexte politique et mystique sert de toile de fond à une quête personnelle, celle de Rémi, un ancien soldat revenu dans son pays natal pour retrouver ses parents disparus. Rapidement, sa recherche se transforme en enquête archéologique et politique, nourrie de révélations sur les origines du conflit et les forces surnaturelles à l’œuvre. Le monde de Hadéa est habité par des créatures surnaturelles, les Hollow Walkers et les Hazes, nées des émotions humaines les plus intenses et destructrices. L’univers se construit à travers documents, dialogues et environnements, avec un accent fort sur l’exploration non guidée. Les thématiques abordées comme la mémoire, la culpabilité, le génocide et le fanatisme religieux, donnent au jeu un ton grave et mature.
Le gameplay repose sur trois piliers : l’exploration, les énigmes et le combat. Le joueur évolue dans des zones semi-ouvertes, accessibles via un véhicule, sans carte ni boussole numérique. L’orientation se fait à l’instinct, appuyée par une tablette sur laquelle Rémi consigne ses découvertes. Les énigmes se basent sur l’observation de l’environnement, la consultation de documents, et parfois l’interprétation de symboles anciens. Celles-ci varient en complexité, les principales restant accessibles tandis que les quêtes annexes demandent plus de perspicacité. Le système de combat, quant à lui, puise dans l’ADN des souls-like avec une gestion de l’endurance, des attaques spéciales « lymbiques » et une mécanique de guérison inspirée de Bloodborne et Nioh. Le drone de Rémi, Kapi, offre des compétences complémentaires, de la paralysie d’ennemis à des déplacements tactiques. Malgré son ambition, l’action reste secondaire au regard de la structure d’ensemble, qui favorise l’exploration et la narration.
Des promesses… Toujours des promesses…
Hell is Us ne tient pas toujours toutes ses promesses, en particulier celle de l’exploration pure sans assistance. Bien que la carte soit absente, des éléments interactifs sont mis en surbrillance, ce qui nuit légèrement à l’immersion prônée par les développeurs. Le tutoriel initial, bien que discret, peut aussi sembler incohérent avec la philosophie de liberté revendiquée. Du côté du contenu, le bestiaire s’avère limité : une dizaine d’ennemis, répartis en deux catégories principales, reviennent souvent, affaiblissant la diversité des affrontements. Les mécaniques de build sont également assez sommaires, avec peu de variété dans les armes et les pouvoirs à débloquer. Le système de combat, bien que correct, manque de profondeur et peut vite paraître répétitif, surtout dans les segments dans lesquels le jeu force un peu trop les phases d’action. Enfin, certains éléments de level design trahissent une certaine rigidité : impossibilité de sauter, de nager, obstacles dérisoires infranchissables, qui rappellent des conventions de game design datées.
Les énigmes, autre pilier du gameplay, peinent parfois à convaincre. Si certaines sont bien intégrées au récit, d’autres paraissent simplistes ou mal mises en valeur. On attend plus d’un tombeau royal que le déchiffrage d’un simple code à quatre chiffres. Les récompenses peuvent aussi décevoir, et l’absence d’interactions environnementales plus poussées limite l’engagement du joueur dans la résolution des casse-têtes. Enfin, la qualité du doublage français, inégale malgré le fait qu’il ait été enregistré en interne chez Rogue Factor, détonne avec l’ambition artistique du reste de l’œuvre. Ces défauts, sans être rédhibitoires, témoignent d’une production à la croisée des chemins entre le jeu AA ambitieux et les limites budgétaires propres à ce format.
Une profondeur de narration et une direction artistique soignée
Malgré ces réserves, Hell is Us impressionne par sa direction artistique et la densité de son univers. L’ambiance sonore, composée par Stéphane Primeau, oscille entre synthwave oppressante et nappes industrielles, participant pleinement à l’immersion dans un monde ravagé et hanté. Chaque zone explorée, qu’il s’agisse de villages médiévaux, de laboratoires modernes ou de paysages naturels, possède une atmosphère propre, renforçant la sensation de découverte. Le jeu ne cherche jamais à infantiliser son public, et cette posture se ressent dans la structure même de l’aventure : pas de quêtes FedEx, pas de récompenses artificielles. Les « bonnes actions » réalisées n’apportent souvent que de la reconnaissance, ce qui accentue leur impact émotionnel. Certaines séquences, comme celle de l’enfant mort dans les bras de son père, marquent durablement sans avoir recours à l’artifice.
La narration, construite à partir de fragments, de dialogues et d’exploration, propose une réflexion profonde sur la guerre, la mémoire collective et les origines de la haine. Il n’est jamais question de bons ou de méchants dans ce conflit : chaque camp a ses torts, ses croyances, ses blessures. Le personnage principal, Rémi, volontairement mutique et émotionnellement détaché, participe à cette approche en retrait. Ce n’est pas l’ego du héros qui guide l’aventure, mais la volonté de comprendre un monde brisé. Le gameplay, bien que limité dans certains aspects, reste cohérent et satisfaisant : le système de guérison dynamique, l’utilisation stratégique du drone, et la gestion de l’endurance apportent une tension constante aux combats. Le fait que l’on puisse ajuster à volonté la difficulté, voire rendre la mort plus punitive, permet une accessibilité large sans trahir la philosophie du jeu.
Rogue Factor et la prise de risque
Rogue Factor, basé à Montréal, était jusqu’à présent connu pour des jeux comme Mordheim: City of the Damned, un titre tactique inspiré d’un jeu de plateau. Avec Hell is Us, le studio effectue un virage ambitieux vers l’action-aventure narrative, en s’inscrivant dans une veine plus artistique et plus risquée. Sous la direction de Jonathan Jacques-Belletête, ancien directeur artistique de la franchise Deus Ex, l’équipe de 55 personnes a relevé le défi de créer un jeu profondément personnel et original. L’objectif était clair : faire confiance au joueur, le responsabiliser, l’inviter à se perdre et à réfléchir. Ce pari, tenu dans les grandes lignes, démontre une véritable volonté de rupture avec les codes de production AAA traditionnels.
L’approche de Rogue Factor est résolument auteuriste : Hell is Us est un jeu qui ne cherche pas à plaire à tout le monde, mais à marquer les esprits de ceux qui s’y abandonnent. L’écriture, partagée entre plusieurs talents du studio (notamment Mathieu Larivière, Shawn Bauer et Alexandre Zenga), puise autant dans les tragédies humaines que dans les mécaniques ludiques. La gestion du budget, visible dans certaines limites techniques, est contrebalancée par une efficacité impressionnante dans l’utilisation de l’Unreal Engine 5. La cohérence visuelle et la construction des zones témoignent d’une équipe qui sait où elle va, même avec des moyens restreints. Le projet a d’ailleurs connu plusieurs années de gestation (annoncé en 2022, initialement prévu pour 2023), ce qui montre le soin apporté à son développement.
Hell is Us n’est ni un jeu parfait, ni un chef-d’œuvre inaccessible, mais une œuvre marquante et singulière. À travers son gameplay exigeant, sa narration fragmentée et son monde profondément humain, il propose une expérience à la fois immersive, émotionnelle et intellectuellement stimulante. Il faut savoir accepter ses imperfections, ses angles morts et ses moments de frustration pour en apprécier la richesse. En cela, c’est un jeu qui récompense la persévérance et l’attention. Rogue Factor, en s’affranchissant des modèles établis, signe une proposition audacieuse qui mérite d’être soutenue. Ce n’est pas un jeu pour tout le monde, mais pour ceux qui s’y retrouvent, Hell is Us pourrait bien devenir inoubliable.
- Direction artistique marquante avec des environnements variés et immersifs
- Bande-son immersive de Stéphane Primeau, entre synthwave et nappes industrielles
- Narration mature abordant des thèmes profonds comme la guerre, le fanatisme et la mémoire
- Exploration libre sans carte ni marqueurs, favorisant l’autonomie du joueur
- Univers dense et mystérieux construit à travers documents, dialogues et observation
- Approche auteuriste audacieuse de Rogue Factor, qui ne cherche pas à plaire à tout le monde
- Système de guérison et difficulté ajustable pour une expérience personnalisée
- Cohérence de la direction artistique grâce à l’Unreal Engine 5 malgré des moyens limités
- Réflexion intelligente sur les émotions humaines à travers les créatures surnaturelles
- Respect du joueur : pas de quêtes FedEx ou de récompenses artificielles
- Exploration limitée par des éléments mis en surbrillance, brisant l'immersion
- Tutoriel en décalage avec la philosophie de liberté totale revendiquée
- Bestiaire pauvre et répétitif, avec peu de diversité d’ennemis
- Système de combat correct mais manquant de profondeur, vite répétitif
- Énigmes parfois trop simples ou mal intégrées au récit
- Récompenses décevantes et interactions environnementales limitées
- Design rigide (pas de saut, nage, obstacles absurdes), rappelant un game design daté
- Mécaniques de build peu développées avec peu de variété dans les équipements
- Doublage français inégal, en contraste avec l’ambition artistique du jeu
- Ressenti de limites budgétaires propres à une production AA
Hell is Us est un action-aventure narratif audacieux développé par Rogue Factor, qui propose une expérience immersive fondée sur l’exploration non guidée, un univers sombre et des thématiques fortes. Porté par une direction artistique saisissante et une narration mature, le jeu prend le risque de ne pas assister le joueur, misant sur sa curiosité et sa persévérance. Toutefois, des faiblesses notables dans le bestiaire, les combats, certaines énigmes et des limitations techniques trahissent les contraintes d’un budget limité. Malgré cela, Hell is Us se distingue comme une œuvre singulière, marquante pour ceux qui accepteront ses imperfections.
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