La question de la difficulté dans les jeux vidéo revient sans cesse dans les discussions, aussi bien dans les communautés de joueurs que dans la presse spécialisée. Si certains titres se construisent une réputation d’exigence, comme les productions de FromSoftware, d’autres suscitent la polémique parce que leur courbe de progression ou leurs choix de game design paraissent trop sévères. Hollow Knight: Silksong, attendu depuis des années, est le dernier exemple en date. Sorti en septembre 2025, il a immédiatement déclenché des débats passionnés, à la fois sur sa difficulté et sur l’accessibilité qu’il offre ou non aux joueurs les moins aguerris. Cet épisode illustre parfaitement une problématique plus large : la place de l’accessibilité dans un média qui cherche à rassembler, mais qui continue parfois à exclure malgré lui.
La difficulté de Hollow Knight: Silksong
Au lancement, Hollow Knight: Silksong a été salué par la critique pour sa direction artistique et la richesse de son univers. Pourtant, dès les premières heures, des voix se sont élevées pour dénoncer une expérience jugée trop impitoyable. Des boss comme Moorwing ou Sister Splinter, rencontrés tôt dans l’aventure, donnaient du fil à retordre même à des joueurs expérimentés. De plus, certains ennemis infligeaient des dégâts disproportionnés et le système de progression en perles renforçait un sentiment de grind inutile. Pour un titre aussi attendu, la surprise fut de taille. Sur les forums et les réseaux sociaux, on retrouvait alors un clivage classique : d’un côté ceux qui saluaient le défi et de l’autre ceux qui voyaient un obstacle injuste à leur plaisir de jeu.
Face à cette situation, Team Cherry a rapidement réagi. Moins d’une semaine après la sortie, un premier patch majeur est venu ajuster l’équilibrage. La difficulté de plusieurs combats de boss a été revue à la baisse, les dégâts de certains ennemis ont été réduits et les récompenses de progression réajustées pour limiter la frustration. L’équipe a également corrigé quelques problèmes de rythme et annoncé qu’une seconde vague de correctifs suivrait. Ces ajustements montrent que les développeurs ont entendu les retours de leur communauté et qu’ils cherchent à trouver un compromis entre challenge et accessibilité. Silksong devient ainsi un exemple concret de la difficulté qu’ont les studios à contenter à la fois les passionnés en quête de défi et les joueurs qui veulent simplement explorer un univers sans obstacles insurmontables.
Les problèmes d’accessibilité liés à la difficulté
L’exemple de Silksong met en lumière une réalité trop souvent ignorée : une difficulté excessive peut devenir un problème d’accessibilité. Le jeu vidéo est un loisir qui devrait être ouvert à tous, mais des choix de design restrictifs ferment la porte à certains joueurs. Les personnes en situation de handicap moteur, celles qui ont des troubles de la coordination, ou encore celles qui souffrent de fatigue chronique se heurtent à des obstacles qui n’ont rien de volontaire. La barrière n’est pas seulement ludique, elle est aussi physique et parfois insurmontable. On oublie trop souvent que jouer n’est pas seulement une question de skill, mais aussi de capacités corporelles et cognitives différentes d’un individu à l’autre.
À cela s’ajoute un facteur générationnel. Beaucoup de joueurs passionnés ont grandi avec la NES, la PlayStation ou la première Xbox, et continuent de jouer aujourd’hui. Mais avec l’âge, les réflexes diminuent et la patience n’est plus la même. Un joueur de 45 ans n’aura pas toujours l’endurance ou la réactivité d’un adolescent. Pourtant, cela ne devrait pas l’exclure d’expériences riches et narratives simplement parce que les développeurs refusent d’ajouter des options de difficulté. Rappeler que « si je peux y arriver, tout le monde peut » est un raisonnement erroné. Le fait qu’une difficulté ne pose pas de problème à certains ne signifie pas qu’elle ne constitue pas une barrière réelle pour d’autres.
Le choix de la difficulté : un gain pour tous
Donner le choix de la difficulté ne retire rien à ceux qui veulent affronter le jeu dans ses conditions les plus exigeantes. Les tryharders peuvent continuer à relever les défis originels, tandis que d’autres profitent d’options qui rendent l’expérience plus accessible. C’est un ajout, pas un retrait. L’idée qu’un mode facile ou une assistance de combat viendrait « dénaturer » un jeu repose davantage sur une posture identitaire que sur une réalité ludique. Les exploits des uns n’ont pas moins de valeur parce que d’autres suivent un chemin différent.
En réalité, offrir des niveaux de difficulté variés profite à tout le monde. Les studios vendent davantage de copies, la communauté s’élargit et les discussions autour du jeu gagnent en diversité. Une personne qui abandonne un titre parce qu’il est trop dur devient une voix négative, alors qu’un joueur qui a pu le terminer grâce à un mode adapté en parle avec enthousiasme. L’inclusivité n’est pas qu’une question morale, c’est aussi une stratégie bénéfique pour l’industrie. Dans un marché dans lequel l’attention des joueurs est disputée par des centaines de productions chaque mois, permettre à chacun de trouver sa place est un choix gagnant.
Un vieux débat ravivé par les jeux « souls »
Ce débat n’est pas nouveau. Depuis plus d’une décennie, les jeux de type « souls » ont bâti leur identité sur la difficulté. Dark Souls, Bloodborne, Sekiro et plus récemment Elden Ring se sont imposés comme des références, adulées pour leur exigence et leur univers riche. Mais cette identité a un revers. De nombreux joueurs, curieux d’explorer les terres de l’Entre-Terre, de s’immerger dans la mythologie écrite par George R. R. Martin et Hidetaka Miyazaki, se sont retrouvés exclus. Ils ne demandaient pas que le jeu perde son âme, seulement de pouvoir participer à l’aventure sans être arrêtés dès les premiers boss. La frustration de voir un contenu culturel aussi dense inaccessible n’est pas anodine.
Il est regrettable de laisser sur le bord de la route des personnes qui n’ont pas choisi leurs limites. Les handicaps, les troubles moteurs ou simplement l’âge ne devraient pas être synonymes d’exclusion. Le jeu vidéo, comme la littérature ou le cinéma, est un vecteur de culture. Personne n’imaginerait réserver un film ou un roman à une élite physique ou mentale. Pourtant, certains jeux se retrouvent dans cette situation de fait. En restant fermés, ils envoient un message involontaire, mais dur : seuls les plus performants ont droit à l’expérience complète. C’est une vision restrictive qui va à l’encontre du potentiel inclusif du médium.
Le biais des exploits
Il est vrai que des exemples spectaculaires circulent régulièrement. On cite des joueurs en situation de handicap qui réussissent à vaincre des titres réputés impitoyables, parfois avec des dispositifs adaptés impressionnants. Ces exploits sont admirables et méritent d’être salués. Mais il ne faut pas les généraliser. Dire qu’une personne paraplégique a fini Dark Souls ne signifie pas que tous les joueurs paraplégiques devraient en être capables. Ce raisonnement est aussi absurde que de penser que, parce qu’un athlète paralympique bat des records, tous les handicapés pourraient le faire. Les exceptions sont inspirantes, mais elles ne doivent pas masquer la réalité de la majorité.
Le danger est de se réfugier derrière ces exploits pour éviter de repenser l’accessibilité. Les développeurs et les communautés peuvent se dire « puisque certains y arrivent, c’est possible ». Mais c’est ignorer la difficulté extrême de ces démarches, l’investissement matériel nécessaire et le talent individuel des personnes concernées. Tout le monde n’a pas vocation à devenir un champion olympique, et tout le monde n’a pas vocation à triompher d’un boss conçu pour repousser les limites humaines de réflexe et de concentration. Les exploits doivent rester des sources d’admiration, pas des justifications pour maintenir des barrières.
L’affaire Silksong rappelle une vérité essentielle : la difficulté dans les jeux vidéo n’est pas seulement une question de design, c’est une question d’accessibilité. Offrir des options adaptées, permettre à chacun de choisir son expérience, c’est ouvrir le média à tous et renforcer sa légitimité culturelle. Les joueurs les plus performants continueront de trouver leur défi, mais les autres auront enfin la possibilité de profiter des univers, des histoires et des émotions que les développeurs créent. En 2025, il est temps de dépasser les vieux clivages et de reconnaître que l’avenir du jeu vidéo passe par son ouverture. D’autant plus, qu’environ la moitié des joueurs ne finissent pas leurs jeux.
Liens utiles pour les joueurs en situation de handicap
CapGame
Association créée en 2013, CapGame agit pour rendre les jeux vidéo accessibles aux personnes handicapées. Elle teste des solutions matérielles et logicielles, organise des événements inclusifs et mène des actions de sensibilisation.
capgame.fr
Handigamer
Cette association sensibilise le public au handicap à travers le jeu vidéo et soutient ses membres en proposant des événements et du matériel adapté.
handigamer.fr
HitClic
Issu de la démarche HandiGamer, HitClic développe des manettes et contrôleurs adaptés afin de rendre le jeu vidéo possible pour les joueurs à mobilité réduite.
hitclic.shop
AccessiJeux
Spécialisée dans l’accessibilité des jeux de société, cette association propose une ludothèque avec plusieurs centaines de jeux adaptés aux déficients visuels.
accessijeux.com