Qu’est-ce que le phantom touch en VR ?

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La réalité virtuelle ne se limite pas à solliciter la vue et l’ouïe, elle peut aussi donner naissance à des sensations tactiles inattendues. Parmi elles, le phantom touch intrigue autant les joueurs que les chercheurs. Décrit comme un toucher perçu sans contact physique réel, il survient parfois lors d’interactions avec un avatar ou des objets virtuels, au point de donner l’impression que l’environnement numérique agit directement sur le corps. Ce phénomène, documenté dans des études récentes et observé dans des plateformes sociales comme VRChat, interroge sur la manière dont le cerveau intègre les signaux visuels et corporels pour construire notre perception sensorielle.

Dans VRChat, il n'est pas rare que les joueurs ressentent le phantom touch.

Phantom touch, c’est quoi ?

Le phantom touch est une illusion tactile qui peut survenir en réalité virtuelle, lorsque l’on a l’impression d’être touché sans qu’aucun contact physique réel ne soit appliqué sur le corps. Ce phénomène a été observé lorsque des utilisateurs interagissent avec leur propre avatar ou avec des objets virtuels, comme s’ils touchaient leur main ou leur bras à travers l’environnement numérique. La sensation décrite varie selon les personnes et peut prendre la forme d’un picotement, d’un frisson ou d’une légère pression localisée à l’endroit du contact perçu. Les chercheurs l’associent à un mécanisme du cerveau appelé tactile gating, qui consiste à anticiper et moduler les sensations produites par nos propres mouvements. En réalité virtuelle, cette anticipation se déclenche à partir d’indices visuels et proprioceptifs, même en l’absence de stimulation tactile réelle, ce qui conduit à ressentir un toucher fantôme.

Ce phénomène ne se limite pas aux zones visibles dans l’environnement virtuel, certaines expériences ont montré que les participants pouvaient percevoir un toucher même sur des parties du corps qui n’étaient pas représentées à l’écran. Le phantom touch semble ainsi impliquer non seulement la vue, mais aussi une représentation interne du corps appelée schéma corporel. Cette intégration d’informations sensorielles permet au cerveau de combler le manque de signal tactile réel par une sensation générée en interne. Bien que cette réaction soit involontaire, certaines personnes peuvent apprendre à la déclencher plus facilement avec l’habitude ou un entraînement spécifique, ouvrant la voie à des applications potentielles dans les domaines du jeu vidéo, de la formation immersive ou de la rééducation.

« Apprendre » à ressentir le phantom touch ?

Dans des environnements sociaux comme VRChat, certains joueurs rapportent ressentir des sensations physiques alors qu’aucun contact réel n’a lieu. Le phantom touch se manifeste par exemple lorsqu’un autre avatar effleure visuellement leur main ou leur bras ; la personne perçoit alors un picotement ou une légère pression à l’endroit correspondant sur son propre corps. Ce ressenti ne concerne pas tout le monde, mais il est suffisamment fréquent pour être étudié. Les échanges entre ces joueurs montrent que la simple observation d’une interaction virtuelle, combinée au sentiment d’incarner pleinement son avatar, peut suffire à déclencher cette illusion tactile.

Pour d’autres, cette capacité n’apparaît pas spontanément, mais peut se développer avec le temps. Certains joueurs expliquent qu’en s’exposant régulièrement à des situations où un contact visuel virtuel se produit, ils finissent par ressentir le phantom touch plus clairement et plus souvent. Des méthodes d’entraînement existent même, consistant à répéter des gestes simples comme se toucher la main ou le bras en VR, afin de familiariser le cerveau avec l’association entre mouvement virtuel et sensation perçue. Cette possibilité d’apprendre à ressentir un toucher fantôme illustre la manière dont l’expérience prolongée en réalité virtuelle peut modifier la perception sensorielle.

Le phénomène de phantom touch permet de ressentir les choses en réalité virtuelle.

Publications académiques sur le phantom touch

Pilacinski et al., Scientific Reports, 2023

Première étude expérimentale documentant l’ illusion du toucher fantôme en VR. Les chercheurs ont immergé 36 participants dans un scénario de réalité virtuelle où ceux-ci se touchent la main virtuelle avec un bâton virtuel. Résultat surprenant : 89 % des sujets ont rapporté une sensation tactile sans aucun contact réel, décrivant un picotement, un fourmillement électrique ou la sensation d’un souffle à l’endroit virtuel du toucher. Fait notable, l’illusion est survenue même en touchant des parties du bras invisibles dans la scène VR, comme l’avant-bras caché. Les auteurs expliquent ce phénomène par le mécanisme de tactile gating (filtrage tactile) : d’ordinaire, le cerveau anticipe et atténue les sensations provoquées par nos propres mouvements (on ne peut pas se chatouiller soi-même). Ici, en l’absence de stimulation tactile réelle à annuler, le signal tactile prévu ne serait pas supprimé, d’où l’émergence de la sensation fantôme. Cette découverte démontre que le cerveau peut être trompé en environnement virtuel et génère une perception de toucher basée sur des indices visuels et proprioceptifs, mobilisant un schéma corporel interne au-delà des seules informations visuelles disponibles.

Alexdottir & Yang, conférence ISMAR (adjunct), 2022

Enquête pionnière sur la prévalence du phantom touch parmi les usagers de VR sociale. Via un questionnaire, 40 utilisateurs de VRChat ont été interrogés : 41 % d’entre eux affirment pouvoir ressentir des touchers inexistants en VR, en particulier sur certaines parties du corps virtuel comme les mains ou les hanches. Les auteurs interprètent ce phénomène comme une forme de synesthésie visuo-auditive-tactile, où des stimuli non tactiles (voir ou entendre quelqu’un s’approcher dans le monde virtuel) suffisent à déclencher une sensation de toucher illusoire. L’étude souligne que l’intensité de ces sensations peut augmenter et s’étendre à une zone corporelle plus large avec le temps, et évoque les implications de ce phénomène émergent, notamment en termes de sécurité en VR, par exemple, le phantom touch pourrait exacerber le ressenti de harcèlement si un utilisateur a l’illusion d’être touché indésirablement dans un espace virtuel.

Chen, Spapé & Jacucci, Proc. ACM HCI (CSCW), 2024

Analyse à grande échelle de témoignages sur le phantom touch dans la communauté VR. Les chercheurs ont collecté ~2 885 posts issus de forums et médias sociaux VR (touchant ~1 408 utilisateurs) pour comprendre comment ces sensations fantômes apparaissent et sont perçues. Ils identifient trois modes d’acquisition du phantom touch : de façon spontanée/naturelle chez certains utilisateurs, par un entraînement volontaire visant à développer cette capacité, ou sous l’effet de substances psychoactives. Les retours d’expérience sont contrastés : beaucoup perçoivent le phantom touch positivement, y voyant un facteur d’immersion accrue et de proximité sociale dans les interactions virtuelles, tandis que d’autres relatent une expérience négative, soit parce qu’elle amplifie les problèmes de harcèlement en VR, soit à cause de sensations intrinsèquement désagréables voire douloureuses. Les auteurs discutent des causes possibles du phénomène (dominance de la vision, sentiment de possession de l’avatar, intégration multi-sensorielle similaire à la synesthésie) et recommandent des pistes de design : par exemple, exploiter prudemment le phantom touch pour enrichir l’expérience utilisateur (retour tactile virtuel sans gant) tout en évitant ses effets néfastes (protection contre le contenu indésirable).

Alexdottir, chapitre dans Virtual and Augmented Reality for Technology-Enhanced Learning, 2025

Travaux récents explorant l’induction contrôlée du phantom touch et ses applications éducatives. L’auteure présente une méthode progressive appelée Head-to-Toe (HTT), grâce à laquelle un utilisateur peut apprendre à ressentir des touchers fantômes de manière fiable. Cette technique d’entraînement a été testée expérimentalement : des participants ont suivi des séances où l’on mesure simultanément leur fréquence cardiaque et recueille leurs impressions qualitatives pour évaluer l’effet psychophysiologique de ces faux touchers. Les premiers résultats montrent qu’il est possible de générer artificiellement le phantom touch et suggèrent d’en tirer parti pour améliorer la formation immersive : par exemple, des simulations pédagogiques en VR pourraient utiliser le toucher virtuel illusoire pour renforcer l’engagement émotionnel, rompre l’isolement (notamment en enseignement à distance pendant le COVID), faciliter l’apprentissage interculturel ou encore accompagner les étudiants dans des environnements virtuels plus interactifs. Ce chapitre discute enfin des enjeux de l’utilisation du phantom touch en éducation, appelant à bien en comprendre les effets sur la santé mentale et l’expérience utilisateur avant de l’intégrer largement.

Phantom touch : vulgarisation de médias scientifiques

Article PsyPost (Eric W. Dolan, déc. 2023)

Compte-rendu grand public de l’étude Pilacinski et al. 2023 sur l’illusion du toucher fantôme. Le journaliste explique comment, en réalité virtuelle, des individus peuvent avoir l’impression d’être touchés sans contact physique réel, un phénomène intrigant qui interroge la façon dont le cerveau traite les informations sensorielles. L’article décrit l’expérience : des volontaires équipés d’un casque VR ont utilisé un bâton virtuel pour toucher leur propre main virtuelle, sous l’œil des chercheurs. La grande majorité (près de 9 sur 10) ont rapporté sentir quelque chose : un picotement, une sensation électrique ou un souffle traversant la main, exactement là où le bâton virtuel touchait leur avatar. PsyPost souligne que ce phénomène bouscule la distinction habituelle que fait notre cerveau entre un contact auto-généré et un contact externe. Normalement, le système nerveux filtre les sensations attendues de nos propres mouvements (on ne sent presque rien quand on se touche soi-même, d’où l’impossibilité de se chatouiller). Or, en VR, ce mécanisme se retrouve piégé par les indices visuels : le cerveau anticipe un toucher (voir la main virtuelle se faire frôler) sans recevoir de signal tactile à annuler, ce qui aboutit à la perception effective d’un toucher fantôme. L’article évoque enfin les perspectives ouvertes par ces résultats, qu’il s’agisse d’améliorer le réalisme des environnements virtuels ou de développer des applications thérapeutiques exploitant la plasticité sensorielle du cerveau.

Article NeuroTracker (nov. 2023)

Un média de vulgarisation en français revient sur la découverte quelque peu poétique du phantom touch illusion par l’équipe de Bochum. Il résume l’étude en décrivant comment il est possible de ressentir de réelles sensations physiques en fonction de l’interaction d’éléments virtuels, alors même qu’aucun stimulus tactile n’est appliqué sur le corps réel La plupart des participants ont ainsi signalé une sensation marquée de picotement ou de statique, semblable au vent passant dans la main, au niveau exact où le contact virtuel avait lieu sur l’avatar. L’article compare ce phénomène à la célèbre illusion de la main en caoutchouc : dans cette dernière, on induit un sentiment que la main factice appartient au sujet, mais en fournissant de vrais touchers synchronisés sur la main réelle, alors que dans le cas du toucher fantôme, aucune stimulation tactile réelle n’est nécessaire pour provoquer l’illusion. NeuroTracker souligne que ces illusions tactiles ne surgissent que dans des conditions perceptives très particulières qui ont du sens pour le cerveau. Le développement de la VR offre justement un terrain d’étude idéal, en rendant ces scénarios immersifs plus accessibles et réalistes que jamais. À terme, exploiter le phantom touch pourrait rehausser le niveau d’immersion sensorielle des jeux vidéo, simulations et expériences en réalité virtuelle, en fournissant un retour tactile fantôme sans avoir recours à des gants ou dispositifs haptiques coûteux.

Le phantom touch illustre la capacité du cerveau à générer des sensations à partir d’indices visuels et contextuels, même en l’absence de stimulus physique. Qu’il apparaisse spontanément ou qu’il soit développé par l’entraînement, ce phénomène ouvre des perspectives pour enrichir l’immersion en réalité virtuelle, mais soulève aussi des questions sur ses implications sociales et psychologiques. Mieux le comprendre pourrait permettre d’en exploiter le potentiel dans des domaines variés, tout en veillant à prévenir les usages ou expériences indésirables.

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Gwen
Élevée avec Zelda, je fais du code dans les jeux vidéo. Si ça se trouve, c'est ma faute si ton jeu a bugué un jour. Experte en tout et surtout en rien.