Depuis la sortie de Borderlands 4 en septembre 2025, le débat enfle autour de ses performances, en particulier sur PC. D’un côté, Gearbox revendique un titre ambitieux et pleinement pensé pour le matériel moderne. De l’autre, une large partie de la communauté se plaint d’optimisation insuffisante, avec des ralentissements, des crashs et une exigence matérielle jugée trop élevée, même sur des configurations récentes. Au centre de la tempête se trouve Randy Pitchford, PDG de Gearbox, dont les déclarations publiques n’ont cessé de polariser les discussions. Borderlands 4 est-il réellement en décalage avec le parc de machines des joueurs, ou bien les critiques révèlent-elles un problème structurel d’optimisation ?
Borderlands 4 : succès d’audience, réception mitigée
Dès ses premières heures sur Steam, Borderlands 4 a dépassé les 300 000 joueurs simultanés, un record pour la licence. En comparaison, Borderlands 3 n’avait jamais atteint de tels chiffres sur la plateforme de Valve. Le looter-shooter bénéficie d’une immense attente, nourrie par l’échec relatif du troisième opus et le succès partiel de Tiny Tina’s Wonderlands.
Pourtant, la réception est loin d’être unanime. Sur Steam, les évaluations sont classées « mitigées », avec environ deux tiers d’avis positifs. Les critiques négatives mentionnent massivement des baisses de framerate, des saccades importantes, voire des plantages aléatoires. Le problème est d’autant plus marqué que plusieurs témoignages concernent des configurations modernes : cartes graphiques RTX 4070, RTX 4080, voire RTX 5090, associées à des processeurs Ryzen ou Intel de dernière génération.
C’est dans ce contexte tendu que Randy Pitchford a choisi d’intervenir directement, multipliant les messages sur X et dans des interviews. Loin d’adopter un ton conciliant, il s’est engagé dans une posture de confrontation avec les critiques.
Randy Pitchford : Borderlands 4 est un jeu premium pour les joueurs premium
« Borderlands 4 est un jeu premium conçu pour les joueurs premium. Tout comme Borderlands 4 ne fonctionne pas sur PlayStation 4, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il fonctionne sur un PC trop ancien.«
Avec cette sortie, Pitchford établit un parallèle entre l’arrêt de compatibilité avec la génération précédente de consoles et la nécessité, selon lui, de disposer d’un PC « suffisamment moderne » pour profiter du jeu. L’idée paraît simple : comme pour une PS4 devenue obsolète, certains PC ne devraient tout simplement pas être considérés comme adaptés.
Mais l’effet produit a été l’inverse de celui recherché. Les joueurs ont rapidement fait remarquer que leurs machines n’étaient pas anciennes : un grand nombre de plaintes venaient d’utilisateurs équipés de cartes graphiques RTX 3060, RTX 4060 ou même RTX 4080, sorties respectivement en 2021, 2023 et 2024. Autrement dit, du matériel toujours dans le cœur du marché.
Dans un autre échange devenu viral, Pitchford a répliqué à un joueur critiquant le recours massif à l’upscaling par IA (DLSS, FSR) : « Codez votre propre moteur et montrez-nous comment faire, s’il vous plaît. Nous serons vos clients lorsque vous y parviendrez. »
Le message, agémenté d’un « /sarcasme » explicite, illustre parfaitement le ton adopté par le patron de Gearbox : provocateur, sûr de son fait, et peu enclin à admettre une part de responsabilité. Il a également multiplié les comparaisons imagées, affirmant par exemple : « Si vous essayez de conduire un monster truck avec le moteur d’un souffleur de feuilles, vous serez déçu. »
Ces déclarations, censées souligner l’inadéquation entre certains PC et les ambitions techniques du jeu, ont été reçues comme un mépris direct de la communauté.
« Jouez en 1440p, pas en 4K »
L’un des conseils techniques récurrents de Pitchford consiste à recommander de viser la définition 1440p plutôt que 4K. Selon lui, c’est le meilleur compromis entre qualité visuelle et performances, même sur des GPU haut de gamme : « Je sais que beaucoup d’entre vous tiennent absolument à jouer en 4K avec des paramètres ultra et du matériel vieux de deux ou trois ans. Vous faites ce que vous voulez, mais pour moi, le compromis à 1440p vaut largement la peine. Le jeu est magnifique à 1440p. »
Ce discours n’est pas dénué de pertinence. En effet, selon l’enquête matérielle Steam d’août 2025, la résolution 1080p reste majoritaire avec 54,4 %, mais la progression la plus forte est celle du 1440p, utilisé par 20,2 % des joueurs. En revanche, la 4K reste marginale, autour de 4,6 %. Autrement dit, la majorité du marché n’est pas encore orientée vers le 4K natif, ce qui corrobore en partie l’argument de Pitchford. Mais cela ne suffit pas à expliquer pourquoi des chutes de performances sont constatées même en 1080p ou 1440p sur des machines récentes.
Pitchford insiste également sur l’usage des technologies d’upscaling : « Utilisez le DLSS. C’est génial. Le jeu a été conçu pour en tirer parti. Ce n’est pas un FPS compétitif. Et on m’a expliqué que lors d’un blind test, les humains ne pouvaient pas détecter le moindre décalage de données. »
La position de Gearbox est claire : Borderlands 4 s’appuie fortement sur DLSS de NVIDIA. Ces outils permettent d’augmenter le framerate en réduisant la définition native, compensée par l’upscaling. Cependant, de nombreux joueurs reprochent au studio de masquer un déficit d’optimisation derrière la promotion de ces technologies. Si DLSS et Frame Generation peuvent effectivement transformer l’expérience sur un GPU récent, ils ne devraient pas être nécessaires pour atteindre une fluidité correcte en 1080p sur une RTX 3060, une carte qui reste la plus utilisée sur Steam (≈ 4,6 % de parts).
Les chiffres de Pitchford : une réalité statistique biaisée ?
Pour minimiser la portée des critiques, Pitchford a publié ses propres statistiques internes. Selon lui, sur l’ensemble des installations :
- 1 % des joueurs auraient contacté le support Gearbox.
- 0,04 % des cas concerneraient des problèmes de performance PC.
- Parmi eux, 0,009 % seulement auraient été jugés “valides”.
Il en conclut que les plaintes massives visibles sur les forums et réseaux sociaux seraient représentatives d’une minorité très réduite, mais amplifiée par l’effet de caisse de résonance d’Internet. Ce raisonnement comporte cependant une limite : la majorité des joueurs ne remplit pas de ticket de support, préférant laisser un avis négatif sur Steam ou exprimer sa frustration sur Reddit, Discord ou X. Le faible nombre de tickets ne reflète donc pas forcément l’ampleur réelle du problème.
La réalité du marché PC en 2025 : que dit Steam ?
Pour analyser objectivement la situation, il faut confronter le discours de Pitchford aux données disponibles. L’enquête matérielle Steam d’août 2025 dresse un portrait clair du joueur PC moyen.
Processeurs
- Intel conserve 59,8 % de parts, AMD monte à 40,2 %.
- La majorité des joueurs utilisent des CPU 6 à 8 cœurs, avec fréquences entre 2,7 et 3,7 GHz.
- Les processeurs quadricœurs deviennent minoritaires.
Cartes graphiques
- NVIDIA domine à 75,7 %.
- La RTX 3060 reste la carte la plus utilisée (≈ 4,6 %), suivie de près par la RTX 4060 Laptop (4,4 %).
- Les GTX 1650 et RTX 2060 restent présentes, mais reculent.
Mémoire RAM
- 16 Go reste la norme (41,8 %), mais 32 Go progresse fortement (37,3 %).
- Les 8 Go reculent à moins de 10 %.
Résolution d’écran
- 1080p : 54,4 %
- 1440p : 20,2 %
- 4K : 4,6 %
Système d’exploitation
- Windows 11 : 63,2 %
- Windows 10 : 36,7 %
Ces chiffres montrent que le joueur moyen en 2025 dispose d’une machine milieu de gamme : CPU 6/8 cœurs, RTX 3060/4060, 16 Go de RAM, 1080p ou 1440p. Or, c’est précisément ce segment qui se plaint de ne pas pouvoir profiter de Borderlands 4 sans concessions majeures.
Borderlands 4, Unreal Engine 5 et la question de l’optimisation
Un autre facteur crucial est le moteur de jeu. Borderlands 4 utilise l’Unreal Engine 5, réputé pour ses innovations (Nanite, Lumen), mais aussi pour ses exigences matérielles. Plusieurs productions récentes (notamment Immortals of Aveum ou Lords of the Fallen) ont rencontré des problèmes similaires : des performances décevantes, même sur des machines puissantes.
L’UE5 permet un rendu spectaculaire, mais sa maîtrise reste délicate. Les choix d’optimisation incombent aux développeurs : désactiver certaines options, ajuster les niveaux de détail, mieux gérer les shaders. Les critiques contre Borderlands 4 semblent donc moins liées au moteur lui-même qu’à la manière dont Gearbox l’a implémenté.
Ce qui choque le plus dans la communication de Pitchford, ce n’est pas tant le fond que la forme. Il a raison de rappeler que tous les PC ne peuvent pas viser 4K ultra à 120 FPS. Mais en choisissant le sarcasme, les comparaisons humiliantes et une posture de défi, il a alimenté la colère au lieu de l’apaiser.
La communauté attendait une reconnaissance claire des problèmes, accompagnée d’une feuille de route transparente sur les correctifs. Au lieu de cela, elle a reçu des messages du type : « Veuillez utiliser la fonction de remboursement sur Steam plutôt que d’avoir une expérience médiocre. »
Une telle déclaration, même réaliste, est difficilement acceptable pour des joueurs ayant investi 70 à 80 € dans un titre présenté comme AAA. D’autant plus que cette barrière technique peut avoir un effet sur le nombre de ventes.
L’enjeu : la confiance dans la licence Borderlands
Borderlands est une saga emblématique, synonyme de fun coopératif et d’excès visuel. Mais son image souffre déjà : Borderlands 3 avait déçu par sa narration, le film Borderlands a divisé, et Tiny Tina’s Wonderlands n’a pas totalement convaincu. En 2025, Gearbox joue gros. Borderlands 4 devait marquer le grand retour, et le gameplay semble globalement à la hauteur. Mais l’ombre des performances techniques et de la communication désastreuse de Pitchford plane sur sa réception.
Le risque est simple : que les joueurs associent durablement la licence à une expérience frustrante sur PC, malgré ses qualités intrinsèques. La solution ne réside pas dans le sarcasme, mais dans le travail technique et la transparence. Gearbox a déjà publié un premier patch et un guide d’optimisation NVIDIA. D’autres mises à jour suivront. Mais pour regagner la confiance, il faudra démontrer que l’équipe est à l’écoute et capable d’améliorer concrètement la stabilité du jeu.
La communauté PC n’attend pas l’impossible. Elle sait qu’un AAA moderne est gourmand. Mais elle réclame une optimisation proportionnelle au marché réel, c’est-à-dire aux machines équipées de RTX 3060/4060, 16-32 Go de RAM et écran 1080p/1440p. Tant que ces configurations rencontrent des difficultés, les critiques persisteront.
La controverse autour de Borderlands 4 illustre parfaitement la tension permanente entre ambition technologique et réalité du marché PC. Randy Pitchford, en parlant de « jeu premium pour joueurs premium », a voulu valoriser son produit. Mais ses propos, teintés de mépris et de sarcasme, ont accentué le fossé avec la communauté.
Les chiffres Steam le prouvent : en 2025, le joueur moyen dispose d’un matériel milieu de gamme moderne, loin d’être obsolète. Si Borderlands 4 peine à s’y adapter, le problème n’est pas chez le joueur, mais dans l’équilibre entre optimisation et exigences techniques.
Gearbox a encore l’occasion de rectifier le tir avec des correctifs et une communication plus humble. Car au-delà des polémiques, un fait demeure : Borderlands 4 est un jeu attendu, massivement joué, et capable de redevenir une référence si sa technique rejoint l’enthousiasme de son public. Si les développeurs ne souhaitent pas revoir leurs ambitions à la baisse, il faut qu’ils proposent des outils et des optimisations adaptés au marché réel du hardware PC.