Ces dernières années, le dématérialisé a pris une part de plus en plus importante dans la manière dont nous consommons nos médias. Que ce soit dans la littérature, la musique, le cinéma et même les jeux vidéo, difficile de ne pas y voir la fin de l’ère du format physique. Pourtant, ces objets avaient quelque chose de particulier que nous sommes en train de perdre.

Casettes audio

Posséder une œuvre et la conserver

Si j’évoquais la qualité d’écoute d’un CD dans un autre article ou le fait qu’un Blu-ray propose un confort visuel légèrement supérieur à un Netflix. Le format physique a toujours eu, selon moi, un réel impact sur la manière dont on consomme un média. J’entends par là que l’offre pratiquement illimitée et disponible partout nous a fait un peu perdre ce sentiment qui fait que l’on tient à certaines œuvres. Je n’ai pas réellement trouvé d’études à ce sujet, mais il y a probablement un lien avec la théorie de l’attachement qui, en gros, fait qu’un enfant est toujours dans les pattes de ses parents.

Le format physique offre la possibilité de « toucher » un œuvre. Finalement, elle existe dans le monde réel et pas seulement sur un serveur aux Etats-Unis. On imagine qu’il y a ici une sorte d’impact psychologique qui fait qu’on ne la regarde pas de la même manière. D’autant plus que la plupart de nos CD, DVD ou jeux vidéo ont leur petite histoire associée. Ces médias deviennent alors des souvenirs, mais aussi des marqueurs temporels. Parfois, on se souvient d’avoir trouvé ce film dans une petite boutique indépendante ou ce vieux titre de Super Nintendo déniché dans une brocante chez un vendeur très sympa. Ces histoires ajoutent un peu de sel à l’œuvre. Un vrai sentiment de possession qui, d’après moi, fait qu’on les apprécie d’autant plus.

On le voit bien aussi avec le dématérialisé, certaines œuvres ont tendance à sombrer dans l’oubli. Netflix n’est pas intéressé par ce vieux film français obscurs qui n’avaient pas forcément fait un carton au box office. C’est également vrai pour la musique où certains CD étaient vendus à la sauvette après les concerts de petits groupes. Toutes ces œuvres-là sont rarement disponibles en ligne et le format physique aura permis d’en sauver quelques-unes. La conservation est un vrai sujet et même si des organismes comme l’INA qui fait ce qu’elle peut pour sauvegarder le patrimoine, tout ne sera pas conservé. Au moins, ils auront sauvegardé nos Skyblogs. L’histoire sera heureuse d’apprendre que j’étais amoureux de la petite Sophie en 6èB.

Les joies de la chasse aux trésors

Bien que cela reste une expérience assez personnelle, j’ai retrouvé le plaisir du jeu vidéo, il y a quelques années. Si je jouais régulièrement sur PC, c’est avec l’arrivée de la PS4 que j’ai un peu changé mon fusil d’épaule. Petit à petit, je me suis remis à aller en boutique pour dénicher des titres et pour retrouver cet agréable sentiment d’échanger avec un vendeur passionné. Je n’avais pas mis les pieds dans un Micromania depuis des siècles et fouiner dans ces bacs à soldes est redevenu petit à petit une nouvelle habitude de consommation. Il y a ce petit côté chasse aux trésors vraiment amusant et lorsque l’on tombe enfin sur une petite pépite à bon prix, on est réellement satisfait. Un sentiment que l’on n’a pas avec le dématérialisé. D’autant plus que cet objet rare offre une expérience assez unique lorsqu’on joue ou que l’on regarde le film.

O'CD Nantes

De fil en aiguille, je suis tombé dans la collectionnite. J’achetais mes jeux et j’y jouais. Sur Steam, je profitais souvent des soldes pour ajouter des titres à ma bibliothèque, mais j’ai réalisé que je n’y touchais pas. Difficile d’expliquer pourquoi beaucoup de gens fonctionnent de cette manière. Demandez aux utilisateurs Steam, ils sont nombreux à profiter des petits prix, mais beaucoup ne jouent pas à ces jeux. Une étude de 2014 expliquait que 37 % des jeux achetés n’étaient tout simplement pas joués. J’imagine que sur Netflix, il doit y avoir un équivalent à ce problème. On picore les contenus et on ne les apprécie plus finalement.

Après cette bonne expérience avec le jeu vidéo, j’ai décidé d’attaquer ma collection de Blu-ray. Là aussi, j’ai retrouvé le plaisir de regarder un film. Même si certains titres étaient disponibles sur Netflix ou de manière plus ou moins légale, insérer le disque dans le lecteur était un geste que j’avais oublié. Au delà de la qualité visuelle que j’avais également oubliée, ce long métrage, j’étais heureux de l’avoir trouvé chez O’CD à Nantes (excellente boutique que je vous recommande chaudement). Je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais le format physique m’a aussi permis d’apprécier à nouveau le cinéma. Le dématérialisé a peut-être rendu tout trop facile ?

Le « snacking » : un problème de société ?

On le voit bien, le grand public veut tout, tout de suite. Les plaintes autour de la multiplication des offres illustrent parfaitement cela. Alors que l’on peut tout à fait prendre un abonnement sur une plateforme pour un mois et changer le mois suivant. Cela a le don d’agacer les utilisateurs qui veulent voir immédiatement cette série sur Netflix, mais aussi ce film sur Disney+ dans la même semaine. Alors que nous n’avons jamais eu autant d’œuvres accessibles aussi facilement, on a le sentiment que les utilisateurs sont des enfants gâtés. C’est assez triste en vérité.

Le jeu vidéo commence également à connaitre ce phénomène avec l’arrivée des services comme le Gamepass ou le PS+. Un vaste catalogue de jeux qui, sur le papier, sont la promesse d’avoir accès à beaucoup de titres de très grande qualité. Dans la pratique, la plupart des utilisateurs ne vont même pas au bout des jeux. Ils jouent quelques heures et passent à autre chose à la moindre difficulté. Je me souviens de l’époque de la PS1 où l’on devait avoir un ou deux jeux par an (parce que c’était cher pour un foyer de prolos). Ces titres, on les usait jusqu’à la moelle.

Aujourd’hui, tout va très vite. Il sort un nouveau smartphone toutes les semaines, on produit des séries à la pelle, il y a des dizaines de milliers d’artistes musicaux qui ne seront jamais écoutés. À ce sujet, sachez que 20 % des sons publiés sur Spotify ne sont jamais streamés. Un chiffre qui fait tourner la tête, on ne prend plus le temps pour rien. Comme si notre temps libre devait avoir un bon rendement comme à l’usine.

Réapprendre à apprécier les œuvres

Bien que je ne me fasse pas beaucoup d’illusions quant à l’avenir des médias physiques, cette expérience avec lui ces 10 dernières années m’a offert des plaisirs que j’avais oublié avec le tout dématérialisé. Prendre le temps d’insérer son disque optique dans le lecteur, profiter de bonus sur les Bluray et le simple fait que cela soit « plus compliqué » de zapper permet, selon moi, de mieux apprécier ce que l’on consomme tout en coupant son smartphone le temps d’un long métrage. Je n’imaginais pas à quel point cela pouvait changer notre vision des choses.

En fin de compte, le physique modifie un peu notre perception des œuvres. Chacun de ces médias ont leur « petite histoire » qui leur donne un charme particulier. Ce qui est assez fou et malgré le fait que je dois avoir plusieurs centaines de titres Blu-ray et jeux vidéo, je me souviens de l’endroit où je les ai trouvés. Tous. Comme si l’achat faisait toujours partie du plaisir lorsque l’on consomme une de ces œuvres. C’est vraiment un sentiment étrange que l’on n’aura jamais avec le dématérialisé. On va perdre cela.

Je ne veux pas tomber dans l’écueil du « c’était mieux avant » et comme je n’ai pas l’intention de devenir un « vieux con », je profite aussi de ce que le dématérialisé a à offrir. Les cinéastes amateurs ont trouvé un moyen de diffusion avec l’Internet, les jeux indépendants n’ont jamais été aussi nombreux. Les découvertes musicales semblent infinies aujourd’hui. Si je veux publier un livre, je n’ai pas besoin de maison d’édition. Il y a tout de même de bonnes choses avec les nouvelles technologies, c’est un fait. Toutefois, je suis convaincu que l’on est gavé de contenus et que l’on ne sait plus prendre le temps de les apprécier à leur juste valeur. Nos vies sont en train de se TikTokiser et ça n’est pas forcément pour le meilleur. On scrolle, on zappe, on télécharge et on « collectionne » des choses qui n’existent pas.

Il est peut-être temps de faire une pause ?